eXcritures proposera des textes marqués au fer rouge, une écriture du dehors, qui cherche le dehors, des mots qui poussent d’entre les murs, d’entre les dents.
eXpositions sera dédiée aux arts visuels, marginaux, expérimentaux ; aux scènes ouvertes, claires, obscures.
réfleXions portera sur les connaissances singulières et occultes.
eXquises/eXtrêmes regroupera des écrits qui auront pour référence la superbe phrase de Nora Mitrani : « les représentations érotiques, si elles ne provoquent pas le vertige ou les larmes, sont méprisables« .
eXilée mettra à l’honneur une personnalité, littéraire ou artistique, injustement oubliée. Parce que née au mauvais moment, au mauvais endroit et souvent portant une voix dérangeante.
Voici donc un avant-gout du prochain numéro d’heXen.
Belle nuit et merci infiniment de vos messages de soutien !
Pour le lancement du livre d’Ivan de Monbrison, La Reine morte, le Cabaret Hexen s’est offert au public des Galopins, place de Clichy, dans la plus pure démesure dadaïste.
L’auteur survolté, tantôt éphèbe perruqué, tantôt moine bonze masochiste, nous a livré une performance viscérale de son œuvre. Il n’a pas hésité pour cela à se faire piétiner au sens propre du terme par Agnès Henneguy, partenaire consentante de la transe poétique de son partenaire de jeu. Tout cela sous l’œil mi-sévère, mi-complice d’Etienne Cottereau, metteur en scène génial de Guérasim Luca.
Pour saisir l’essence musicale de ce moment déraisonnable, il nous fallait un sage… Après avoir capturé la poésie de Petit-être, Dominique Bertrand, penseur multiple, musicologue, poète, sorcier, philosophe et accessoirement virtuose de la flute shakuhachi, a saisi comme jamais la frénésie incantatoire des mots de Valéry Meynadier, récemment éditée par les éditions Al Manar pour La morsure de l’ange, dans la collection Erotica.
En ouverture de cette sarabande infernale, François Pain-Douzenel, metteur en scène et co-fondateur de la compagnie « Les Pirates des Songes« , nous a véritablement lancé un sort sous la forme d’une danse digne d’une cérémonie vaudou. Et, en guise de conclusion, il nous a invité, sur les traces de Charles Bukowski, à boire un « Dernier verre« … Nous ne sommes pas fait prier.
Le tout sur des thèmes musicaux de Georges Delerue, de Chet Baker et Marilyn Manson.
« Regardez ce bâtiment là-bas. Autrefois c’était l’université. On l’a rebaptisé -Institut de l’oubli. C’est là que jeunes, adultes et vieillards se rendent pour suivre des cours du soir, ils s’emploient à désapprendre, à se détromper. Ici, les gens poursuivent leurs désuétudes. Les désétudiants reçoivent un diplôme quand ils parviennent à se délester de l’essentiel. Nous avons des docteurs en oubli comme vous en avez en sciences. Voilà ce que vous aurez à faire si vous tenez à rester ici, devenir un habitant des limbes ! »
Éric Faye – Je suis le gardien du phare (et autres récits fantastiques) / Seuil 2000.
— Alors ne me refusez pas de me dire l’objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire ; et s’il s’agit de ne point blesser votre dignité, eh bien, dites là comme on la dit à un arbre, ou face au mur d’une prison, ou dans la solitude d’un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit ; de me la dire sans même me regarder.
Bernard-Marie Koltès – Dans la solitude des champs de coton
Froncés de nuit les lèvres des fleurs, croisés et enchevêtrés les fûts des grands pains, grisaillée la mousse, ébranlée la pierre, réveillés pour le vol glacial :
c’est la contrée où font une pause ceux que nous avons rattrapés :
ils ne nommeront pas l’heure, ne compterons pas les flocons, ne suivront pas les eaux jusqu’au barrage.
Ils seront là dans le monde, à part, chacun seul auprès de sa nuit, chacun seul auprès de sa mort, hargneux, nu-tête, givré de proche et de lointain
Paul Celan – Pavots et Mémoire Photographie : « The tunnel » – @alexalloulphoto
Ce dimanche 25 juillet à partir de 18h30 au bistro Les Galopins, 66, rue de Clichy, 75009, Paris… Métro Place de Clichy. Il y aura des animaux sauvages en liberté, un danseur-sorcier, des lectures fougueuses, des musiciens électriques et lunaires, du cinéma sur grand écran… On vous attend avec impatience pour cette folle sarabande !
La moitié de mort allaitée avec notre vie, était là tout autour de nous vraie d’images de cendres —
nous aussi nous buvions encore, entrecroisés d’âme, deux dagues, cousus à des pierres de ciel, né de sang de mot dans le lit de nuit,
nous avons grandi et grandi de plus en plus l’un au travers de l’autre, il n’y avait plus de nom pour ce qui nous poussait (l’une des trente et combien était-elle, mon ombres vivante, qui grimpait l’escalier de délire jusqu’à toi ?),
haute tour l’À-moitié s’allait construire dans le vers où, Hradschin* de pur Non-de faiseur d’or un hébreu d’os, moulu en sperme, s’écoulait dans le sablier que nous traversions à la nage, deux rêves maintenant, sonnant contre le temps, sur les places.
*Le Hradschin est le grand château de Prague.
Paul Celan – Renverse du souffle Tableau : œuvre d’Ivan de Monbrison
« Je me souviens de toi, quand, à l’aide d’un herbier, tu composes les feuilles de ton art, un recueil d’images sensitives. La tentation de souffler sur un pissenlit me prend. Car, dans ton dictionnaire botanique, je découvre des définitions que je ne connais pas. Leur lumière me parvient, à travers les voltiges d’akènes à la délicatesse florale. »
« L’amour est a réinventer l’amour se quitte se révulse se révolte s’écrit se crie, s’écrit démence originale mais tu as peint ma silhouette en noir sur ton tombeau »
Ivan de Monbrison – La Reine morte
Né en 1969 à Paris, Ivan de Monbrison est peintre, sculpteur et poète.
En parallèle de nombreuses publications dans diverses revues telles que Arpa, Friches, Phréatique, Concerto pour marées et silence, Hexen, Traversées, Pojar, il a édité L’Ombre déchirée (La Bartavelle, 1994), Journal (La Bartavelle, 1997), La corde à nu (La Bartavelle, 2000), Ossuaire (HC, 2009), Sur-faces (HC, 2011), Les Maldormants (Ressouvenances, 2014) , Orgasmes et Fantaisies (5 Sens, 2016), Nanaqui ou les tribulations d’un poète (5 Sens , 2017), The Overflowing body (Greying Ghost press, 2018), Irradié (Le Chat Polaire, 2020), La cicatrice nue (Traversées, 2020), Le Vide Intime (Hexen, 2020).
Aujourd’hui, il travaille à une réécriture de la Divine Comédie de Dante Alighieri, intitulée Opus 666. L’Enfer.
Je pense qu’un livre naît d’une insatisfaction, d’un vide, dont les périmètres se révèlent au au cours et à la fin du travail. L’écrire, c’est sûrement remplir ce vide. Dans le livre que j’ai terminé hier, tous les personnages finissent par être des explorateurs de l’abîme ou plutôt de son contenu. Ils enquêtent sur le néant et n’arrêtent que lorsqu’ils tombent sur l’un de ses éventuels contenus, car il leur déplairait sans doute d’être confondus avec des nihilistes. Confrontés au monde, ils ont tous choisi de se pencher au-dessus du vide. Et il ne fait aucun doute qu’ils sont liés à une phrase de Kafka : « Loin d’ici, voilà mon but. »
Enrique Vila-Matas – Explorateurs de l’abîme, Christian Bourgois éditeur
Illustration : Romy Schneider dans L’Enfer de Clouzot (1964)
« Âgée de 31 ans, je suis passionnée de littérature et j’écris principalement des nouvelles et de la poésie depuis le plus jeune âge. Mon premier recueil de poèmes « tes bras sont une fête » est sur le point de paraître. Mes thèmes de prédilection sont la féminité et les différentes manières de l’habiter, la folie et la complexité des rapports humains ».
« Le sort de la soirée se scella là, yeux sur l’asphalte, son membre dans la main. »
La totalité de cette nouvelle sera publiée dans la revue Hexen 3.
« Tous les rideaux du monde tirés sur tes yeux » André Breton
« Violette rêvait de bains de lait, De belles robes De pain frais De belles robes De sang pur Un jour il n’y aura plus de père Dans les jardins de la jeunesse Il y aura des inconnus Tous les inconnus Les hommes pour lesquels on est toujours neuve Et la première Les hommes pour lesquels on échappe à soi-même Les hommes pour lesquels on n’est la fille de personne Violette a rêvé de défaire A défait L’affreux nœud de serpents des liens du sang. » Paul Éluard
Rendez-vous le dimanche 25 juillet 2021 pour le lancement du livre La Reine morte d’Ivan de Monbrison !
Mi-soirée de lectures mi-Cabaret Hexen, nous vous invitons à une fugue poétique à partir de 18h30 au Bistro des Galopins, 66 Rue de Clichy, 75009 Paris. Métro Place de Clichy.
Surprises, lectures, improvisations musicales, performances et expériences déroutantes seront au programme…. Nous espérons vous y retrouver dans la douceur estivale pour fêter cet événement !
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Cependant leur nature était des plus étranges, en vérité ! — C’étaient deux êtres doués de sens merveilleux, mais exclusivement terrestres. Les sensations se prolongeaient en eux avec une intensité inquiétante. Ils s’y oubliaient eux-mêmes à force de les éprouver. Par contre, certaines idées, celles de l’âme, par exemple, de l’Infini, de Dieu même, étaient comme voilées à leur entendement. La foi d’un grand nombre de vivants aux choses surnaturelles n’était pour eux qu’un sujet de vagues étonnements : lettre close dont ils ne se préoccupaient pas, n’ayant pas qualité pour condamner ou justifier. — Aussi, reconnaissant bien que le monde leur était étranger, ils s’étaient isolés, aussitôt leur union, dans ce vieux et sombre hôtel, où l’épaisseur des jardins amortissait les bruits du dehors. »
Vous qui me jugez, vous n’êtes rien pour moi. J’ai trop contemplé les ombres infinies. Je n’ai point l’orgueil de vos fleurs, ni l’effroi De vos calomnies.
Vous ne saurez point ternir la pitié De ma passion pour la beauté des femmes, Changeantes ainsi que les couchants d’été, Les flots et les flammes.
Rien ne souillera les fronts éblouissants Que frôlent mes chants brisés et mon haleine. Comme une Statue au milieu des passants, J’ai l’âme sereine. »
je te clé d’or/je t’extraordinaire/tu me paroxysme/
[…]
je te lune/tu me nuage/tu me marée haute/je te transparente/tu me pénombre/tu me translucide/tu me château vide/et me labyrinthe/tu me parallaxes/et me parabole/tu me debout/et couché/tu m’oblique/je t’équinoxe/je te poète/ tu me danse/je te particulier/ tu me perpendiculaire/ et soupente /
tu me visible/tu me silhouette/tu m’infiniment/tu m’indivisible/tu m’ironie/
je te fragile/je t’ardente/je te phonétiquement/tu me hiéroglyphe/tu m’espace/tu me cascade/je te cascade à mon tour/mais toi/
tu me fluide/
tu m’étoile filante/
tu me volcanique/
nous nous pulvérisable/nous nous scandaleusement/ jour et nuit/nous nous aujourd’hui même/tu me tangente/je te concentrique/
[…]
prendre corps/
je te marine/je te chevelure/je te hanche/tu me hantes/je te poitrine/je buste ta poitrine/puis ton visage/je te corsage/tu m’odeur/tu me vertige/tu glisses/ je te cuisse/je te caresse/je te frissonne/tu m’enjambes/tu m’insupportable/ je t’amazone/je te gorge/je te ventre/je te jupe/je te jarretelle/je te peins/je te bach/pour clavecin/ sein/et flûte/je te tremblante/tu m’as séduit/tu m’absorbes/je te dispute/je te risque/je te grimpe/tu me frôles/je te nage/mais toi /tu me tourbillonnes/tu m’effleures/tu me cerne/tu me chair cuir peau et morsure […] tu me couvres/et je te découvre/je t’invente/parfois/tu te livres/tu me lèvre humide/je te délivre/je te délire/tu me délire/et passionne/je t’épaule/je te vertèbre/je te cheville/je te cil et pupille/et si je n’omoplate pas/avant mes poumons/même à distance/tu m’aisselle/je te respire/jour et nuit/je te respire/je te bouche/je te baleine/je te dent /je te griffe/je te vulve/je te paupière/je te haleine/je t’aime/je te sens/je te cou/je te molaire/je te certitude/je te joue/je te veine/je te main/je te sueur/je te langue/je te nuque/je te navigue/je t’ombre/je te corps/je te fantôme /
Au cimetière du Père-Lachaise, Ivan de Monbrison vient de s’échapper non sans mal de la mausolée Demidoff, retenu captif par célèbre baronne Elizaveta Alexandrovna Stroganova… Mais il demeure, perdu entre les tombes, à la recherche de sa Reine.
Il présente aux éditions Hexen sa dernière œuvre : La Reine morte, journal poétique de sa quête désespérée.
Ivan de Monbrison, né en 1969 à Paris, est peintre, sculpteur et poète.
En parallèle de nombreuses publications dans diverses revues telles que Friches, Arpa, Phréatique, Concerto pour marées et silence, Hexen, Traversées, Pojar, il a édité L’Ombre déchirée (La Bartavelle, 1994), Journal (La Bartavelle, 1997), La corde à nu (La Bartavelle, 2000), Ossuaire (HC, 2009), Sur-faces (HC, 2011), Les Maldormants (Ressouvenances, 2014) , Orgasmes et Fantaisies (5 Sens, 2016), Nanaqui ou les tribulations d’un poète (5 Sens , 2017), The Overflowing body (Greying Ghost press, 2018), Irradié (Le Chat Polaire, 2020), La cicatrice nue (Traversées, 2020), Le Vide Intime (Hexen, 2020).
Aujourd’hui, il travaille à une réécriture de la Divine Comédie de Dante Alighieri, intitulée Opus 666. L’Enfer.
« [ …] je mettais mes escarpins de cuir noir tous les jours pour venir au laboratoire. Il me semblaient un peu lourds à porter avec mes tenues d’été de couleur claire, mais pour ne pas trahir la promesse échangée avec lui dans la salle de bains, je ne pouvais échapper au curieux ensemble qu’ils formaient avec ma robe de lin blanc.
En me chaussant le matin, la pression de ses doigts sur mes jambes, me revenait, c’était une drôle de sensation, pas vraiment douloureuse, mais qui m’entravait.
Les escarpins étaient légers, agréables à porter. Seulement, il m’arrivait parfois, l’espace d’un instant, de sentir mes pieds entièrement aspirés. A ce moment-là, j’avais l’impression que M. Deshimaru retenait mes jambes entre ses bras fortement serrés.
A partir de ce jour-là, nous avons pris l’habitude de nous retrouver régulièrement dans la salle de bains. »
Divine lecture de La Morsure de l’ange de Valéry Meynadier (notre rédactrice en cheffe) accompagnée par Dominique Bertrand à la belle et courageuse librairie Équipages au mois de décembre.
« J’ai désécrit chaque mot / À coups de langue » Éditions Al Manar, encre de Rachid Koraïchi, collection Erotica, 2020
Une réimpression caniculaire, 200 pages, une multitude d’artistes au rendez-vous : c’est enfin le numéro 2 de la revue Hexen qui sort juste de l’imprimerie.. Et déjà en ligne ici : revue Hexen numéro 2
Au sommaire :
Éric Dussert // Codicophilie Jean-Marc Flapp // La Tour Joséphine Lanesem // Contre la mort Petit-être // écoute claquer les drapeaux noirs Ivan de Monbrison // Opus 2.4.6 Daniel Cabanis // Disons que Marthe est morte James Fleann // HP3 Evgue-Riek Gevamagdala // Sous la tour blanche Paul Elisia // Étranges hôtels DOSSIER SPECIAL NELLY ARCAN Lilas Bass // Nelly Arcan, écrivaine de la marge ultralucide Virginie Foloppe // Nelly Arcan – Une utilisation féministe de la psychanalyse Œuvres d’Arcan Éclats de Nelly Arcan Biographie Principaux travaux sur Nelly Arcan Ruth Nahoum // La Pudeur Lisa Santos Silva // La vie en rose Étienne-Marcel Dusssap // Forcipressure Jean-René Vif // Scènes de la vie de Heidegger Jeanne Miromensil // Désamour Viviane Campomar // La légende de l’Érogisante Valéry Meynadier // Poèmes Angela Fortin // Hard Disk Lila Lakehal // L’aube est l’X Virginie Foloppe // Petite, fais voir comment tu es grande Marina Giangregorio // Bois et mots flottés Clélia Gabyrel // Clé d’ogive Lilas Bass // Les larmes aussi ont une fin Félix Fénéon // Illuminations
Couverture : Ruth Nahoum
200 pages 16x23cm
Merci mille fois de votre patience et compréhension en ces temps difficiles.
Dernière échoppe ouverte dans la nuit de la ville guirlandes de piments samovar et phalènes Halo blanc de l’acétylène la barbe du patron est teinte d’un rouge espiègle
Trois hommes vêtues de cuir lapent le thé vert versés dans leur soucoupe hautes pommettes brillant dans leurs faces cuivrées sous la frange de feutres informe pèlerins du Tibet chinois en route vers l’Inde gangétique pour accrocher leur moulin à prières aux branches du figuier du Bouddha puis s’en retourneront chez eux à petit souffle à petits pas par ces confins insurveillables qui passent au-dessus des nuages
J’ai moi aussi rendez-vous avec un arbre il n’est en tout cas plus question de dormir quand la lune navigue comme une voile gonflée si brillante et véloce que l’âme elle-même en a une ombre
Là-haut, durant la longue accoutumance à son nouveau territoire, le funambule se sent seul. Sa silhouette restera longtemps inanimée. Agrippé des deux mains à la passerelle devant ce câble horizontal sur lequel il n’ose poser le pied, on croirait qu’il boit avec paresse le soleil couchant. Il n’en n’est rien. Il gagne du temps. Il mesure l’espace, palpe le vide, pèse les distances, surveille l’état des choses, et en fixe la place. Il savoure sa solitude en tremblant : il sera funambule s’il passe, il le sait. Il veut aligner à la verticale de ses pensées ses doutes et ses craintes pour hisser jusqu’à lui le courage qu’il lui reste. Mais cela prend trop de temps. Le câble gagne du terrain, le ciel devient sombre, c’est maintenant une centaine de mètres qui le séparent de la plate-forme d’en face. Le sol n’est plus au même niveau, il a encore baissé. Des cris viennent des bois. La fin du jour est proche. Au plus fort de son désespoir le funambule empoigne son balancier et croyant devoir renoncer, pas à pas il progresse, pas à pas il passe. C’est son premier exploit. Il demeure là à le comprendre, les yeux posés sur ce plancher tout neuf, tandis que l’obscurité court au ras du sol. Lui, avec la cime des arbres, partage la lumière qui s’attache plus légère que l’air. Seul sur son fil, il s’enveloppe d’une allégresse âpre et sauvage par d’insouciantes traversées, sans ordre, dans l’humidité du soir. Il attache son balancier à la passerelle avant de prendre place au sommet du mât au sein d’un espace noir et glacé pour recevoir sans angoisse la nuit qui rentre.
Philippe Petit, Traité du funambulisme, Actes Sud, préface de Paul Auster
« Le sang Celte, Romain, Lusitain et tant d’autres, ont fait d’elle une femme à la force archaïque. De peau claire et cheveux sombres, qu’elle porte longs et souvent tenus par des peignes, Palmira a l’habitude de regarder droit devant. Quelque chose en elle agace pourtant, une fierté, peut-être, ou bien ses boucles d’oreille en or, va savoir…
Palmira a connu la disparition du monde qui l’a vu grandir sous les tropiques, elle a connu la guerre, des révolutions, a participé à des commencements historiques, elle a inspiré des artistes : « …. Toi cristal pointu Sans gaine, les angles saillants lueur frêle et froide d’arme blanche …. 1) » […] Partout où elle passait, Palmira dressait désormais de petits ou grands reliquaires du culte des êtres disparus, de ses maisons hantées, de ses bonheurs et de ses joies, une manière de narguer le temps, de narguer le destin. Quelque chose de l’animisme des tropiques avait pénétré son âme. L’une de ses amies disait d’elle que Palmira était la prêtresse de son propre culte… Se sentait-elle toujours menacée ? Oui, bien sûr. »
Extraits de L’anniversaire, de Lisa Santos Silva, publié chez Maliciosa Alta Éditions
Sur l’image, le catalogue et cartes postales de Metamorfoses do Albatroz, exposition consacrée à Lisa Santos Silva au Museu Nacional do Traje (Musée National du Costume) à Lisbonne.
Merci mille fois à l’artiste pour cet envoi ! Nous la retrouverons dans les pages de la revue Hexen numéro 2 et 3.
Eurydice Trichon Milsani, in 25 Poèmes pour L, 1985
Un télex pour vous annoncer la date du prochain Cabaret Hexen : 23 septembre 2020. Cela se déroulera à partir de 18h dans un cadre festif et poétique, au cœur du 20ème arrondissement de Paris (événement reporté). Plus d’informations à venir, très vite.
Autre nouvelle : la réimpression du numéro 2 de la revue Hexen aura bien lieu avant le 15 août.
Quand tu es loin il y a plus d’ombre dans la nuit il y a plus de silence Les étoiles complotent dans leurs cellules cherchent à fuir mais ne peuvent Leur feu blesse il ne tue pas Vers lui quelque fois la chouette lève la tête puis ulule Une étoile est à moi plus qu’au sommeil et plus qu’au ciel distant absent prisonnière hagarde héroïne exilée Quand tu es loin il y a plus de cendres dans le feu plus de fumée Le vent disperse Tous les foyers […] Tu apparais derrière mes paupières comme autrefois quand pour te dévêtir tu masquais la lampe qui te gênait Nous dormons côte à côte dans la nuit qui nous forme par amour Je te donne mes mains tombées des miennes et ta voix.
« Grande fleur des forets, grande fleur cicatrisante ouvre toi chaude, ouvre-toi rouge sur ma tête araigneuse ; je ne veux faire de toi qu’une grande fenêtre sans vitre de soleil et de musique ; ouvre-toi en robe nocturne, en rose de feu, en notes aiguës de pierre de feu, toi qui gardes vraiment ce cri unique du mal, de ce mal fabuleux d’être seule et amoureuse. Et je te vois, violente, je te vois nue et splendide, sur une corde infinie, étoile de nuit, pleine de souffrance, pleine à aimer. Reste à la nuit cette magique volupté, ce désir invulnérable aux prières insensées ; reste la dans ta forme première mais changeante pour chaque passion. Un jour viendra où les hommes en masques sensuels auront peut-être le droit de cueillir sans se lever cette fleur légère, humide de clarté ; brûlante du feu liquide, timide de grâce qui ne s’ouvre que pour la mort. Mais reste encore ce pic de joie, ce cœur blessé, ce cœur fait d’ondes énigmatiques sur qui le jour quand il se lève se casse les doigts à chaque jointures et saigne, saigne sur l’aurore un beau sang rouge du soleil délirant. Et je te confonds encore avec ma chair et mon cœur reste insensé comme ce membre d’une vie heureuse qui se soulève à chaque élan du vent. » (Mars 1947.)
Jean-Pierre Duprey, Premiers poèmes inédits et publiés, Derrière son double, Poésie/Gallimard
Un œil se ferme Au fond plaquée contre le mur la pensée qui ne sort pas Des idées s’en vont pas à pas On pourrait mourir Ce que je tiens entre mes bras pourrait partir Un rêve L’aube à peine née qui s’achève Un cliquetis Les volets en s’ouvrant l’ont abolie Si rien n’allait venir Il y a un champ où l’on pourrait encore courir Des étoiles à n’en plus finir Et ton ombre au bout de l’avenue Elle s’efface On n’a rien vu De tout ce qui passait on n’a rien retenu Autant de paroles qui montent Des contes qu’on n’a jamais lus Rien Les jours qui se pressent à la sortie Enfin la cavalcade s’est évanouie En bas entre les tables où l’on jouait aux cartes
Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? Ô toi, mon cœur Afrique entonne Le chant d’un vieil arbre abattu ; De son bois un djembé résonne Dans la mangrove au souvenir Baignant l’enfance en devenir. Las ! que ma forêt me pardonne !
Du bois de l’arbre est la pirogue Où doucement l’enfant s’endort ; Dérive, insouciance, et vogue, Le fleuve et ses reflets sont d’or. Debout ! Les flots noirs du Zambèze Ont la fureur que rien n’apaise, Que le djembé résonne fort !
Ô toi, mon cœur griot récite Les mots et les noms désirés, Tous ceux que l’homme ressuscite, Ceux que l’enfant a déchirés. Ce nom que le djembé martèle N’est que légers battements d’elle, Las ! que ces coups font chavirer !
Ô toi, mon cœur sorcier envoute La nuit du tourment revêtu Comme un ciel froid drape sa voute, Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? Que le djembé casse la danse De l’homme mûr et de l’enfance, Pour dire, enfin, mon cœur s’est tu !
Mais je voudrais être horizontale. Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre Absorbent les minéraux et l’amour maternel Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles, Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives, Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales. Comparés à moi, un arbre est immortel Et une fleur assez petite, mais plus saisissante, Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre. Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles.
Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d’éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche A la langue d’ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d’hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d’allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de martre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d’écume de mer et d’écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d’initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d’orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d’or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent Au dos de lumière A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d’amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir … André Breton – Donna Summer (entente parfaite)
Doucement pour dormir à l’ombre de l’oubli ce soir je tuerai les rôdeurs silencieux danseurs de la nuit et dont les pieds de velours noir sont un supplice à ma chair nue un supplice doux comme l’aile des chauves-souris et subtil à porter l’effroi dans les coins où la peau se fait craintive, émue pour mieux aimer, pour avoir peur d’un autre corps et du froid. Mais quel fleuve pour fuir ce soir ô ma raison ? C’est l’heure des mauvais garçons l’heure des mauvais voyous. Deux grands yeux d’ombre dans la nuit seraient pour moi si doux, si doux. Prisonnier des tristes saisons je suis seul, un beau crime a lui là-bas, là-bas à l’horizon quelque serpent peut-être et glacé de n’aimer point. Mais où coule, où coule au loin le fleuve dont a besoin pour fuir ce soir ma raison ? Sur les berges vont les filles leurs yeux sont las, leurs cheveux brillent, Je ne sais rien dire à ces filles dont ils sont les mauvais garçons dont ils sont les fiers maquignons. Je suis seul, un beau crime a lui, Deux grands yeux d’ombre dans la nuit seraient pour mot si doux, si doux. C’est l’heure des mauvais voyous.
Ivan deMonbrison dont les Éditions Hexen viennent d’éditerLe Vide Intime, son dernier livre, a eu l’honneur d’être publié dans la merveilleuse revue Concerto pour marées et silence, numéro 13, juin 2020, dirigée par Colette Klein pour laquelle la vie est poésie.
Je ne dors pas Georgia Je lance des flèches dans la nuit Georgia j’attends Georgia Le feu est comme la neige Georgia La nuit est ma voisine Georgia J’écoute les bruits tous sans exception Georgia je vois la fumée qui monte et qui fuit Georgia je marche à pas de loup dans l’ombre Georgia je cours voici la rue les faubourgs Georgia Voici une ville qui est la même et que je ne connais pas Georgia je me hâte voici le vent Georgia et le froid et le silence et la peur Georgia je fuis Georgia je cours Georgia Les nuages sont bas il vont tomber Georgia j’étends les bras Georgia je ne ferme pas les yeux Georgia j’appelle Georgia je t’appelle Georgia Est-ce que tu viendras Georgia bientôt Georgia Georgia Georgia Georgia Georgia je ne dors pas Georgia je t’attends Georgia.
Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d’éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche A la langue d’ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d’hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d’allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de martre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d’écume de mer et d’écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d’initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d’orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d’or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent Au dos de lumière A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d’amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir Ma femme aux yeux pleins de larmes Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée Ma femme aux yeux de savane Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu.
D’une manière ou d’une autre, qui que vous quittiez ou vers qui que vous alliez (votre destinée est dans les sentiments, pas dans les gens) – quoi que vous quittiez et vers quoi que vous alliez – vous allez à votre âme (vos événements sont tous à l’intérieur), de plus dans la ville éternelle, qui en a tant vu et tant avalé que, bon gré mal gré, tout ce qui est violemment-personnel fera silence, sera transfiguré. Vous aurez la Seine, ses ponts, ses brouillards : les siècles les surplombent. J’ai vécu à Paris, ce fût plus un rêve de Paris que Paris lui-même. (comme toute ma vie est un rêve de la vie et non la vie !)
Marina Ivanovna Tsvetaïeva, Vivre dans le feu, Le Livre de Poche, traduction de Nadine Dubourvieux
« Il est minuit passé, l’horizon se déroule. Lettre après lettre, bloc après bloc, la terre, le ciel, la mer, rien. D’abord les rêves du monde. Je suis ici chez moi. Le Sieg ne viendra plus, l’aiguille s’est arrêtée. Sa voix sanglote de free jazz à l’autre bout du fil. Tu comprends ? Oui, je comprends. Tout s’éclaire, les rues, les insectes, la question centrale. Au lieu de dormir, je m’attarde sur un point de détail à déchirer en deux ou à mettre au pluriel. Ma bouche est condamnée de pierres. Je sens la rouille sur mes lèvres, sur les pierres, je crache. La nuit arrive avant l’heure. Dans les ruines, je fais les cent pas. Je pense : le monde est à demi-réparé. Alors je n’ai plus peur. Le chemin vers l’est est encombré d’ailes et d’esprits frappeurs, d’âmes humides et de ventilateurs. Quelque chose se fissure. Il y a de la rouille sur les marches. Je fais le tour du lac en pensées. Au carrefour, pas d’indication, pas d’est en vue, mais l’ouest brûlant, l’ouest gasoline, le trou noir. Il est minuit sonnant et je devine la douce clameur du dernier esquif sur le fleuve immense. Dông, c’est la formule magique, elle emporte, lune après lune, lettre après lettre, bloc après étoile, fragment etc. Cut off. Le tabac blond papier doré du jour d’après me réveille. Quelques miettes tombent pour les oiseaux. Quelques oiseaux transforment la nuit en bal et je disparais dans la musique. »
« Ôtez-moi mes affections et je serai pareille à une algue que l’on a retirée de l’eau, à une coquille de crabe, à une défense d’éléphant. Mes entrailles, la moelle de mes os, la pulpe, tout s’écoulerait hors de moi, un souffle suffirait à me pousser jusqu’à la première flaque et à m’y noyer. »
« Elle est rousse, un peu maigre : un glauque caftan vert Aux grands plis moirés d’ombre, ainsi qu’une eau dormante De sa cheville grêle à sa nuque charmante, Suaire étroit, l’étreint, à l’aisselle entr’ouvert.
Dans la fraîche harmonie adoucie et calmante Des peupliers feuillus, dressés sur un ciel clair, Pieds nus dans l’herbe haute, elle pose en plein air Devant l’heureux rapin, qui la croit son amante.
L’homme est joyeux, ravi : l’ombre d’un vieux bouleau La baigne en avivant le rose de sa peau : Elle songe à Montmartre où, sous le froid qui tue,
Chétive, en waterproof, en souliers prenant l’eau, Elle faisait le quart, adorée et battue Par la Terreur d’Ivry, Rouquin dit Bonneteau »
Jean Lorrain (1885) – Amy Winehouse – A Song For You
« Je touche tes lèvres, je touche d’un doigt le bord de tes lèvres. Je dessine ta bouche comme si elle naissait de ma main, comme si elle s’entrouvrait pour la première fois et il me suffit de fermer les yeux pour tout défaire et tout recommencer. Je fais naître chaque fois la bouche que je désire, la bouche que ma main choisit et qu’elle dessine sur ton visage, une bouche choisie entre toutes, choisie par moi avec une souveraine liberté pour la dessiner de ma main sur ton visage et qui, par un hasard que je ne cherche pas à comprendre, coïncide exactement à ta bouche qui sourit sous la bouche que ma main te dessine. Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s’enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvement vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l’eau. »
« Si quelqu’un vient me prendre, je l’ajusterai posément dans la demi-obscurité, je le viserai à la tête, peu importe qui il est. J’essaierai de le tuer d’un coup, pour économiser mes balles. La dernière sera pour moi. On me trouvera délivrée, les yeux ouverts sur ma vie réelle, dans mon tailleur blanc taché de rouge, douce, propre et belle comme j’ai toujours voulu l’être. Je me serai donné seulement un week-end de sursis pour être quelqu’un d’autre, et puis c’est tout, je n’aurai pas réussi parce qu’on ne réussit jamais. On ne réussit jamais. »
Sébastien Japrisot – La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil
« Je crois […] que le monde devrait accueillir les marginaux. Une des premières vertus d’une société juste devrait être d’autoriser ses membres à être des marginaux. D’une façon ou d’une autre, des gens devraient toujours avoir la possibilité de se tenir à l’écart, sur le bord de la route. D’ailleurs, avant, beaucoup de personnes choisissent de vivre en marge sans que cela dérange les autres. C’était une bonne chose. Nous devons non seulement accepter les êtres et les états de conscience à la marge, mais aussi les déviants et ceux qui sortent du commun. Je suis à fond pour les déviants ! Evidemment, tout le monde ne peut pas être marginal. Il est clair que la plupart des gens doivent choisir des modes de vie centrés. Mais au lieu de devenir de plus en plus bureaucratique, standardisée, oppressante et autoritaire, pourquoi notre société n’autorise-t-elle pas davantage de gens à être libres ? »
« Bien que l’appareil photo soit un poste d’observation, il y a dans l’acte photographique plus que de l’observation passive. Comme le voyeurisme érotique, c’est une façon d’encourager, au moins tacitement, souvent ouvertement, tout ce qui se produit à continuer de se produire. »
« La dépression est la mélancolie sans ses charmes — l’animation, les crises. »
« J’envie les paranoïaques ; ils sentent vraiment que les gens font attention à eux. »
« Le mensonge est un moyen élémentaire d’autodéfense. »
« L’écrivain est soit un ermite, soit un délinquant guidé par sa culpabilité, soit les deux… Souvent les deux. »
« Et l’Asie continue son mouvement, sourd et secret en moi, large et violent parmi les peuples du monde. Elle se remanie, elle s’est remaniée, comme on ne l’aurait pas cru, comme je ne l’aurais pas deviné.
Il date, ce livre. De l’époque à la fois engourdie et sous tension de ce continent; il date. De ma naïveté, de mon ignorance, de mon illusion de démystifier, il date. Il date d’un Japon excité, surexcité, parlant guerre, chantant guerre, promettant guerre, défilant, hurlant, vociférant, menaçant, harcelant, tenant en réserve des bombardements, des débarquements, des destructions, des invasions, des assauts, de la terreur. »
« Dada ne signifie rien. – … Je suis contre tous les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n’en avoir par principe aucun. »
« tremblements souffrance ma fille du rien bleu et lointain ma tête est vide comme une armoire d’hôtel dis-moi lentement les poissons des humbles tremblent et se cassent quand veux-tu partir le sable passe-port désir et le pont rompre à tierce résistance l’espace policiers l’empereur lourd sable quelle meuble quelle lampe inventer pour ton âme »
« – petite ville en sibérie –
une lumière bleue qui nous tient ensemble aplatis sur le plafond c’est comme toujours mon camarade comme une étiquette des portes infernales collées sur un flacon de médicine c’est la maison calme mon ami tremble et puis la dense lourde courbée offre la vieillesse sautillant d’heure en heure sur le cardan le collier intact des lampes de locomotives coupées descend quelquefois parmi nous et se dégonfle tu nommes cela silence boire toits en fer-blanc lueur de boîte de hareng et mon cœur décent sur des maisons basses plus basses plus hautes plus basses sur lesquels je veux galoper et frotter la main contre la table dure aux miettes de pain dormir oh oui si l’on pouvait seulement le train de nouveau le veau spectacle de la tour du beau je reste sur le banc qu’importe le veau le beau le journal ce qui va suivre il fait froid j’attends parles plus haut des cœurs et des yeux roulent dans ma bouche en marche et des petits enfants dans le sang [est-ce l’ange? je parle de celui qui s’approche] courons plus vite encore toujours partout nous resterons entre des fenêtres noires »
« Je ne chante pas je sème le temps. »
« On ne mordra jamais assez dans son propre cerveau »
« N’aimez pas si vous voulez mourir tranquillement »